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Roman en ligne

28 octobre 2007

Chapitre 1

7H00

Un mauvais matin gris. Le froid déjà immiscé dans chaque interstice des ouvertures de l’appartement rappelle par de soudains petits courants d’air que Février sur le trottoir attend.

J’ai une tête de saison, grise aussi, les poils percent, hirsutes, sur une peau sèche. Le bas du visage alourdi semble tirer mes cavités oculaires vers le sol. Des traces noirâtres cernent des yeux rétrécis, deux tâches sombres que baignent une flaque blanchâtre irriguée de micro canaux rouge vif et gonflés.

Ne pas boire.

L’odeur du café reste la meilleure amie du noctambule, elle se diffuse jusque sous la douche et lentement vous anime. Comme le bruit mat de l’eau qui rebondit sur le torse souple et s’écrase contre la céramique ; son tempo filtre « Lou Reed » dont le « perfect day » envahit l’appartement de douceur.

5H00

Je traîne mon ivresse sur la chaussée d’un pas rapide. Un homme saoul se déplace toujours vite, il essaie de camoufler son état, il tente de maîtriser sa démarche, il se dit : « Ne titube pas imbécile ! » mais son rythme particulier et saccadé le trahit.

Pourquoi tenter d’afficher une respectabilité ?

Juste éviter de tenter un pickpocket. Faire bonne figure devant le chauffeur du taxi qui hait les oiseaux de nuit éthyliques dont les relents de bile menacent la banquette arrière et l’odeur de transpiration refroidie, collée au corps, empuantit l’habitacle.

4H00

La musique bat son plein et je me déhanche mollement face à Marlène ; elle verse ses cheveux en arrière, un large sourire blanc offert aux spots, shootée par le rythme. Des striures de sueur lézardent au travers de son chemisier, une rivière étroite comme un reptile fin parcourt sa poitrine et s’enfonce, à la jonction de ses seins, en direction de son ventre.

Marlène est une stupide starlette. A ses côtés, des dizaines d’autres Marlènes dansent et exposent crument leurs sex-appeals face à des hommes identiques : passablement vulgaires, aisés, jeunes et en rut permanent.

Je suis toujours surpris, comme un éternel candide, de ne jamais voir autre chose que des clans et castes identiques que rapprochent quelques signes superficiels et nous donnent l’illusion de d’une communauté. En dépit de nos énergiques dénégations, à chacun son univers restreint.

Par exemple, Paris, comme toutes les grandes métropoles est un assemblage de plusieurs villes empilées en un mille feuilles hiérarchiquement composé. Le Paris des intellectuels, des médias, des bobos ou des cadres supérieurs surplombe le Paris des cadres moyens qui toise celui des employés qui déconsidère le Paris des vendeurs de journaux, de Kebab, des garçons de café ou des videurs de poubelles qui, eux, ne remarquent plus les clodos affalés sur le trottoir. Des mondes ségrégués et isolés. Les riches ne voient pas les pauvres, les pauvres jalousent à peine les riches. Les noirs ignorent les blancs ; les blancs, les noirs. Les branchés snobent les « has been » ; les libertins croisent les curés ; les prostituées, les mères de famille ; les noceurs, les casaniers ; les jeunes, les vieux. Les vieux parlent aux vieux, aux pigeons et à leurs chiens quand ils sont seuls. Les hommes regardent les belles, les belles ne regardent personne. Personne ne regarde les moches. Des destins indépendants et parallèles, nous sommes la multitude esseulée.

Marlène appartient à la catégorie des bourgeoises branchées, une espèce assez répandue et bruyante. Un genre de filles qui pullule dans les discothèques et tout endroit tapageur.

John, qui feint de lui témoigner de l’intérêt, réussit à la séduire avant moi. Marlène est rongée comme beaucoup par un mal réel qui envahit le monde comme une onde diffuse, discrète et inexorable : la vacuité. Un mal qui précipite ceux qui en sont atteint vers une dépression certaine dont la déclaration se fait jour insidieusement comme un cancer.

La soirée fut semblable à d’autres, quelques banalités échangées dans un restaurant suivi de cette boite peuplée d’abrutis. Des conversations empruntées, un petit étalage de fatuité. En sus des bagnoles, d’allusions peu subtiles et prétentieuses sur la douteuse réussite professionnelle des convives, du cul des filles et quelques propos politiques convenus, aucune discussion réelle, teintée d’un soupçon humain, ne s’est engagée et un froid sentiment de solitude m’a une nouvelle fois submergé.

Je ne suis pas le premier à tirer un constat désabusé de la modernité, un constat d’un parfait classicisme à notre époque : celui d’une décadence perceptible. De nos jours, le déclin se caractérise surtout par le règne du moindre effort, celui des faux talents et de la facilité citée en exemple. Un processus de décérébration atteint les pays développés ; le plaisir immédiat, le refus de la persévérance, l’absence de but, l’égocentrisme anéantissent même les meilleurs d’entre nous. La volonté broyée par la jouissance, détruite par la profusion. Nos besoins intellectuels chaque jour se réduisent ; quelques images suffisent à nourrir nos cerveaux spongiformes. Consommer, jouir et réfrigérer nos âmes. Voilà tout. Une nouvelle Rome.

Un lieu commun asséné, un réquisitoire d’aujourd’hui mais aussi d’hier, je sais. Mais certains poncifs pèsent leur poids de vérité.

Volupté acide et trompeuse, donne-moi mon petit de shoot de rien ! Ma défonce au vent ! Je veux m’oublier, m’oublier, m’oublier…

David revient s’asseoir sur le sofa de velours rouge à mes côtés. Sa pupille dilatée, son air nerveux, ses traits figés et de légères traces de sang à la base de sa narine droite mal essuyée trahissent sa dépendance à la cocaïne. Ici, on tape de la blanche chaque nuit comme un grand aspirateur. Ca pisse du nez à qui mieux-mieux et les « J’arrête quand j’veux » échangent leurs expériences psychotiques devant un whisky glace.

Plein le dos.

« Je rentre les gars »

« Allez Henri, mon pote Henri, un dernier ! »

Je ne pense plus être « le pote » de personne depuis longtemps.

4H30

Je m’extraie de la boite enfumée comme de l’écoutille d’un sous-marin et la fraîcheur de l’hiver me rassérène.

Alors que je me presse à la recherche d’un taxi, je perçois le bruit sec et brusque de souliers féminins suivi par le son mat et nerveux d’un pas masculin. Je me retourne ; un homme, le visage déformé par la colère, tente de retenir une femme, belle, par le bras.

Le ton monte et il la gifle violemment ; elle incline la tête sous le choc et me supplie du regard. Le sang perle à la commissure droite de ses lèvres. Je m’avance au devant du type qui au loin me hèle : « Ne vous mêlez pas de ça ! » hargneux. A sa hauteur, alors qu’il va proférer une nouvelle menace, je lui balance ma gauche sur le nez.

Le nez est une bonne cible, l’atteindre immédiatement raccourcit l’affrontement. Il s’écroule et, avant qu’il ne se relève, j’écrase ma chaussure sur sa figure d’un geste vif et précis. « Arrêtez ! » M’ordonne la femme. Il se relève, lui jette un œil désespéré. « Salope ! » il l’insulte, puis il traverse le boulevard halluciné, les mains sur son visage.

Un taxi déboule à grande vitesse sur la chaussée dégagée et le percute ; il s’envole désarticulé et retombe comme un sac sur le bitume, inerte.

Un cri d’épouvante me perfore le ventre, le femme, hystérique, se précipite et, par réflexe, je la retiens par le poignet. « Disparaissez !! » Elle hurle grimaçante. « Lâchez moi et disparaissez ! » Je la libère et elle court vers le petit attroupement autour du taxi.

Je m’enfuis.


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28 octobre 2007

Introduction

Les chapitres sont courts ; voici le premier.

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